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Originalité et droit d'auteur en photographie
De l'imposture à l'escroquerie

Ce texte a été écrit pour les Cahiers de la photographie, magazine de l'Union des photographes professionnels. Il a été publié dans le numéro daté mars 2015.

Toute photographie a un auteur. C'est ce qui dit le code de la propriété intellectuelle. Cette position est reprise par les grands pays modernes.

Affirmer qu'une photographie devrait faire preuve d'originalité pour bénéficier de la protection de ce code est une imposture, dès lors que le mot est pris dans toute la complexité intellectuelle de sa définition et non pas comme l'antonyme de duplicata.

L'originalité est une imposture qu'utilise les diffuseurs sans scrupules pour spolier les auteurs. Le fourberie conduit à l'escroquerie.

Il est profondément dommageable que des juges fassent leur cette fourberie et se mettent en travers de la loi, ce qui revient à donner une caution juridique à une spoliation.

La notion d'originalité en droit d'auteur est une résurgence de la doctrine Desbois des années 1950. La loi moderne sur le droit d'auteur, qui a donné naissance au code de la propriété intellectuelle n'a rien retenu de cette doctrine qui n'a plus, de ce fait, aucune pertinence du point de vue de la loi.

Le législateur, en effet, n'a donné aucune définition subjective ou immanente de l’œuvre de l'esprit. Il s'en est seulement tenu à des critères objectifs, descriptifs. En réécrivant la loi de 1957, il a pris le soin d'écarter tous les éléments qui ouvraient la voie à des digressions subjectives. Ainsi en était-il du caractère « artistique ou documentaire » que devait présenter une photographie pour être considérée comme œuvre de l'esprit. Le législateur a écarté ces attributs qui sont apparus sans fondement juridique stable.

De fait, c'est la seule façon de préserver une cohérence du droit.

On ne dira jamais assez à quel point sont grotesques ces procès mettant en scène l'originalité, penchant d'un côté ou de l'autre en fonction des préjugés des juges, de la notoriété des avocats et de la surface financière des parties.

Mais lorsque le photographe se voit privé de la rémunération qu'il revendique, pire même, lorsqu'il est condamné à dédommager son prédateur, le déni de justice glace le sang.

Si l'on imagine une photographie qui ne relèverait pas du code de la propriété intellectuelle, on devrait considérer que celui qui l'a faite n'en est pas l'auteur, ce qui serait, en soi, singulier. Mais dès lors qu'il l'aurait faite avec son appareil et ses supports de mémoire, il en serait néanmoins le producteur, donc le propriétaire, au sens du code civil.

Sans aucun doute, le fichier numérique unique – aussi unique que peut l'être l'ADN des six milliards d'humains qui peuplent la terre – lui appartient, ainsi que les copies qu'il en a, éventuellement, faites.

L'usage d'un bien obtenu en dehors de la volonté de son propriétaire est du recel. Dans ce cas, ce dernier est parfaitement en droit de demander réparation.

La seule preuve d'originalité que l'on devrait pouvoir exiger d'un photographe est d'établir que c'est bien lui qui a réalisé le fichier numérique en litige, ce qui n'est pas difficile avec les fichiers « bruts » que délivrent les appareils photos actuels, fichiers sources des copies ultérieures.

Concernant le caractère intellectuel de la propriété, la supercherie de l'originalité repose sur une faille :

La propriété intellectuelle n'existe qu'à la suite de la réalisation d'une œuvre, la matérialisation d'une pensée. Pour déterminer les œuvres qui bénéficient de la protection du droit d'auteur, le législateur ne caractérise ni l'esprit ni ses qualités, il se contente d'énumérer les différentes formes matérielles que l’œuvre de l'esprit peut prendre, à partir de quoi s'acquière la propriété intellectuelle.

Après tout, la pensée relève de l'intimité privée d'une personne. Elle peut tout aussi bien exprimer le dit que le non-dit d'une œuvre. Il y a quelque chose d'inquisitorial à vouloir contraindre un créateur à dévoiler son intimité pour justifier du bien fondé intellectuel de sa création.

Mettre en cause le caractère intellectuel d'une œuvre, c'est aller au-delà, bien au-delà du code de la propriété intellectuelle. Mais si la justice estime nécessaire d'explorer cette voie, cela ne l'autorise pas à dénier les formes matérielles dans lesquelles ce code reconnaît les œuvres qu'il protège.

Quelles qu'en soient les qualités intellectuelles – ou l'absence de qualité – , pour ce code, une photographie reste une œuvre réalisée avec les techniques de la photographie ou analogues à la photographie, c'est à dire une œuvre protégée, dont le photographe est l'auteur.

La position du législateur est la seule attitude plausible et cohérente qui permette au code de la propriété intellectuelle d'être en harmonie avec les principes généraux du droit en matière de propriété. Au-delà des dispositions de ce code, la réalisation d'une œuvre, quelle qu'elle soit, donne la pleine propriété matérielle à celui qui la réalise si cette réalisation n'est pas faite sous contrat.

Dès lors, que le juge veuille s'aventurer sur le chemin de la contestation en paternité intellectuelle, apparaît bien incongru. Au nom de quelle clause d'originalité – ou autre caractéristique intellectuelle – pourrait-on dépouiller un propriétaire de la libre jouissance de son bien ?

Il est tout de même surprenant que des juges construisent une argumentation à contresens du code de la propriété intellectuelle pour aboutir à un viol manifeste du code civil. C'est d'autant plus surprenant que les juges savent parfaitement utiliser le code civil pour défendre le droit à l'image.

Nous sommes bien en présence d'une faille juridique : Si l'on voulait pouvoir considérer que les œuvres énumérées dans le code de la propriété intellectuelle ne relèvent pas toutes de ce code, il faudrait définir un statut juridique de ces œuvres, que l'on dirait « non de l'esprit », un statut dont on ne voit pas bien en quoi il pourrait échapper au droit de la propriété.

Le problème de la rémunération du droit d'auteur évacué par la fenêtre, reviendrait par la grande porte du code civil sous la forme de la rémunération due à la propriété.

Lorsqu'il y a contrat de cession de droits d'auteur, les règles du code de la propriété intellectuelle indiquent qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'un contrat de vente mais seulement d'un contrat d'usage d'un bien dans des conditions déterminées. On peut toujours, par la suite, contester à l'œuvre toutes les qualités que l'on veut, celui qui l'a produite n'en reste pas moins propriétaire puisque aucune vente, à proprement parler, n'a eu lieu.

Notons que la notion d'originalité s'avère totalement infondée dans le cadre du copyright anglo-saxon, l’œuvre étant considérée sous l'angle de sa propriété réelle avant de savoir de quel esprit elle émane. Il y a toujours un propriétaire – auteur ou acquéreur – qui jouit de la protection légale au titre de cette propriété.

Toute photographie a un auteur. Toute photographie a un producteur. Ce peut être la même personne ou des personnes distinctes aussi bien dans le droit latin que dans le droit anglo-saxon. Mais alors que, contrairement au droit anglo-saxon, le droit latin privilégie la défense de l'auteur sur celle du producteur, nos juges ont réussi le tour de force de rendre le droit latin plus instable et donc plus injuste que le droit anglo-saxon.

De là à penser qu'il existerait en France un lobby pour torpiller le droit latin et lui substituer le droit anglo-saxon... Est-ce une raison pour que la justice se torde le cou à elle-même ? Si demain la règle du copyright s'impose en Europe, nous aurons l'air malin avec notre originalité.

Pour conclure, le plus simple et le plus cohérent, c'est de s'en tenir à l'esprit comme à la lettre du code de la propriété intellectuelle en ne s'aventurant pas à faire l'exégèse des œuvres de l'esprit mais en se contentant de l'énumération des différentes formes qu'elles peuvent prendre, figurant dans le dit code.

Août 2014