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Séquences : pour le discours photographique

A terme, il n’est pas impossible que la presse devienne plus économe en papier, recentrée sur son fond de commerce premier : l’écrit. Le site internet associé ne serait plus un bis repetita mais un véritable complément au support écrit, jouant à plein la carte de l’image. Dans ces conditions, un abonnement global, papier/internet serait sans doute plus facile à vendre. Il y a là une véritable opportunité pour le développement du journalisme photographique. Le coût d’une image sur le net est infime par rapport au coût d’une image sur papier. Mais cela suppose sans doute de faire évoluer le photojournalisme lui-même.

Depuis que l’Illustration, en 1891, s’est emparée de la photographie pour illustrer ses articles, la presse vit toujours sous le même triptyque : titre, texte, image. Les présentations ont varié selon les époques, les lignes éditoriales et l’importance accordée à l’écrit par rapport à l’iconographie. Mais l’imbrication des trois éléments reste la règle. A de rares exceptions près, photos et textes s’entremêlent dans la mise en page selon une logique solidement établie : conforter le discours écrit.  En caricaturant à peine : l’image racole pour le texte. C’est le choc des photos pour bien peser les mots. Conséquence : il est rare de voir une succession ordonnée des images qui  produise du sens ; en un mot : un discours photographique. On demande au reportage photo d’avoir une thématique bien cernée ; pas une approche discursive.

L’enchaînement raisonné des images dans leur présentation, sur la forme et sur le fond, produit du sens, aussi bien que la succession des paragraphes d’un article. Les images deviennent interdépendantes non plus, seulement, dans le cadre global de la thématique du reportage, mais plus finement, d’image à image. Doit-on craindre de piétiner les plates bandes de la vidéo, se sachant dépourvu de l’une des ses qualités essentielles : l’animation ? En réalité, la photo, comme l’écrit, garde sur l’audiovisuel un avantage décisif : elle préserve le lecteur ou spectateur de l’astreinte au continuum temps. On peut survoler un texte, une série d’images ou, au contraire, s’y arrêter longuement, méditant chaque phrase, s’émouvant de chaque image. (De ce point de vue la titraille joue un rôle essentiel.) Autant il est agréable de se promener dans les pages d’un journal ou d’un site internet, au gré de sa fantaisie ou de ses centres d’intérêt, autant le zapping télévisuel s’avère plus frustrant qu’autre chose.

A partir des années 1970, des tentatives ont vu le jour pour sortir du dogme implicite qui place la photo dans un rapport de subordination, notamment en prêtant attention à la dimension esthétique des images afin qu’elles puissent jouer leur propre partition dans les pages des journaux. Mais dès lors que la question du sens n’était pas posée, il s’en est suivi une fuite en avant (fuite en arrière ?) vers une sorte de néo pictorialisme, faisant rêver les photographes des cimaises artistiques – chimères auxquelles on s’accroche dur dans certaines écoles et hauts lieux institutionnels. Pendant ce temps, la presse se gobergeait de clichés bruts. Qu’importe s’ils ne répondaient pas aux critères les plus basiques de la bonne photo, pourvu qu’ils soient probants !

Assez curieusement, en migrant sur le web, la presse ne s’est pas encore départie d’une conception qui conduit à la négation du discours photographique, alors que le jeu simple des clics permet de faire respirer le texte et l’image en respectant les règles de progression de chacun. On peut lire un texte sur une page et cliquer sur un lien qui ouvre le reportage photographique sur une succession d’autres pages, éventuellement en plein écran. Non seulement le web ouvre une voie royale pour le développement du discours photographique mais de plus, contrairement au texte, son écran offre une lecture des photos plus flatteuse que la feuille de journal.

Janvier 2010 (modifié en mars 2010)