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Ne vendez pas la photographie à la découpe !


Des nuages se sont accumulés sur la photographie, ces derniers mois.

Des inspecteurs des impots redressent des photographes, estimant qu'un travail de commande ne peut être un travail d'auteur protégé par le code de la propriété intellectuelle et bénéficier des avantages qui en résultent.

Des juges déboutent des photographes, jugeant que leurs photographies ne sont pas "originales" et ne méritent pas d'être rémunérées au titre du droit d'auteur.

Un juge est même allé plus loin affirmant dans un arrêt, tout de go, que la photographie documentaire ne faisait plus partie des oeuvres de l'esprit.

Le ministère de l'éducation nationale, pour sa part, s'est acoquiné avec Fotolia, qui brade les photos à moins de 1 euro sur internet, pour sensibiliser les jeunes à la "problématique du téléchargement légal" !

Dans le même temps, des organismes publics lancent des appels d'offres qui s'ingénient à détourner la loi, tandis que des concours bidons, destinés à voler des images, se répandent un peu partout.

Ne nous y trompons pas. Ce tourbillon malsain qui voudrait éteindre l'étincelle de vie de la photographie est le même que celui qui entraine notre pays vers le fond.

Le photographe deviendra-t-il un simple prestataire de service - payé s'il trouve un client ? Les photos pourront-elles être galvaudées gratuitement au gré des besoins des uns et des autres, réduites à n'être que de simples choses ?

Ce serait un séisme culturel sans précédent dans notre pays. La photographie a été admise en 2005 à l'académie des Beaux-Arts. Si demain, elle devait passer à la trappe, il y aurait fort à craindre qu'après-demain, ce soit l'ensemble de la création qui se trouve engloutie. Le code de la propriété intellectuelle deviendrait une coquille vide et les murs multi centenaires de l'Institut de France finiraient pas ne plus abriter qu'une cathédrale sans âme.

Le monde regarderait la France avec des yeux effarés, notamment les pays de culture anglo saxonne qui, contrairement à ce qu'on dit si souvent, défendent parfois mieux leurs auteurs que nous. Le principe du droit d'auteur est inscrit dans l'article premier de la constitution des Etats-Unis d'Amérique.

L'Union des photographes professionnels, comme c'est son rôle, a interpellé à plusieurs reprises le plus hautes autorités de notre pays. Notamment, le président de l'UPP, Patrick Roche, a adressé un courrier au président de la République. Cette lettre est cosignée par Lucien Clergue, président de l'académie des Beaux-Arts, Yann Arthus-Bertrand, Raymond Depardon, Sebastiao Salgado, Dominique Issermann et d'autres.

Force est de dire que les réponses tardent à venir. Toutefois, l'UPP a pu avoir des entretiens chaleureux et attentifs avec les deux présidents des commissions culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat, Patrick Bloche et Marie-Christine Blandin. Preuve que la partie n'est pas perdue.

Le rapport Lescure, bien que peu disert en propositions pour protéger la photographie, a toutefois un mérite essentiel : proclamer que le droit d'auteur est un levier pour l'économie de la création et non pas un obstacle.

Certes, on peut penser que les pouvoirs publics auront à coeur de préserver une photographie d'"art". Mais un telle photographie, élitiste et getthoisée ne pourrait que s'appauvrir, pour cause de consanguinité culturelle.

ll est notable que Télérama ait consacré un important dossier à ces photographes - même pas du dimanche - qui shootent avec leur téléphone portable et alignent leurs images sur Instagram. Les deux journalistes du magazine culturel n'ont pas de mots assez forts pour dire toute la créativité qui fourmille là-dedans. De son côté, le magazine Polka s'intéresse ce mois-ci à ces photographes de mode qui émergent du web.

Comme tout organisme vivant, la photographie est un tout qui a sa cohérence. De grace, n'organisez pas sa vente à la découpe !

Juin 2013