Retour
Réflexions sur le droit à l'image


Depuis plusieurs années, la question du droit à l’image perturbe la photographie jusqu’à, parfois, la paralyser. Cette note n’a aucune prétention théorique ou juridique. Elle est une contribution au débat, dictée par l’expérience, sur la base de quelques connaissances, dans l’espoir que la photographie puisse retrouver une sérénité qu’elle ne mérite pas d’avoir perdue.

Il faut distinguer deux volets à la question. Le premier concerne le respect que l’on doit aux personnes, le second, l’éventuelle rémunération auquel quiconque peut prétendre au nom de son droit à l’image. La loi française aborde le premier volet et ignore le second qui fait l’objet d’une jurisprudence en dents de scie.

Concernant le respect des personnes, un article du code civil et quelques articles du code pénal cadrent les choses avec netteté : la loi se place du point de vue du respect de la vie privée. Le corollaire de la vie privée, c’est l’espace privé au sein duquel peut s’exercer cette vie privée. Dès lors qu’une personne se trouve dans l’espace public, elle n’est plus dans la vie privée à moins d’admettre qu’elle pourrait privatiser l’espace public qu’elle occupe, le temps de cette occupation. Le raisonnement confinerait vite à l’absurde.

Le débat sur la vie privée tourne souvent autour de l’opposition avec la vie publique. La vie publique suppose qu’une personne se manifeste de façon volontaire dans l’espace public afin d’y apparaître… publiquement. Ce n’est manifestement pas ce que font les millions de gens qui arpentent les trottoirs de nos villes et villages. En revanche lorsqu’on est dans l’espace public, on se trouve de plein pied dans la vie civile, laquelle est soumise à certain nombre de règles (on ne se promène pas tout nu dans la rue). 

Il y a une différence fondamentale entre la vie privée et la vie civile qui devrait permettre à la photographie de trouver un chemin équitable sur la voie du droit à l’image. Si je photographie un quidam chez lui dans une posture scabreuse, je porte atteinte à sa vie privée. Si ce même quidam adopte une posture scabreuse sur la place publique, c’est lui qui est en faute et non moi qui le photographie.

Il me semble qu’il faut considérer qu’en aucun cas on ne porte atteinte à la dignité d’une personne en la photographiant dans la rue, dès lors qu’elle a la maîtrise de soi, car elle est censée donner d’elle-même une image conforme aux règles de vie commune en vigueur. Il faut en finir avec cette épée de Damoclès qui pèse sur la photographie, perpétuellement soupçonnée d’engendrer du préjudice là où elle ne fait que porter témoignage.

Dans l’espace public, la photographie doit demeurer libre et sans contrainte, sous la réserve expresse qu’elle ne dénature pas avec un commentaire ou par trucage photographique la réalité qu’elle a saisie. La question de l’autorisation des personnes photographiées sur la voie publique doit être ramenée à une règle de bonne conduite et non plus être une contrainte juridique.

Le problème est sans doute plus complexe pour les espaces privés ouverts au public : café, restaurant, transports, etc. Dans la mesure où les mêmes règles de civilités s’y appliquent que dans l’espace public, j’incline à penser que la photographie devrait y bénéficier des mêmes droits. Mais le point peut faire débat puisqu’un autre larron entre en scène : le propriétaire du lieu.

Le second volet concerne la rémunération auquel quiconque peut prétendre au nom du droit à l’image. Il me semble qu’il faut partir d’un constat simple : si le jour de votre mort personne ne vous a photographié, dessiné, peint, sculpté, il ne subsiste aucune image de vous. Il n’existe donc pas d’image d’une personne qui n’ai été faite. Partant, il faut considérer comme premier le droit de celui qui a réalisé l’image – le droit d’auteur –  et subordonné le droit de celui qui figure sur l’image – le droit à l’image. 

Si l’on écarte les interférences un peu scabreuses avec les notions de préjudice et de réparation, cela peut conduire à une idée certes simpliste mais qui règlerait 90 % des conflits d’intérêt nés autour du droit à l’image : la rémunération d’une personne photographiée ne peut excéder les droits d’auteur perçus par le photographe, c’est à dire, le plus souvent bien peu de choses, ne justifiant pas des procès à rallonge.

Reste à estimer l’apport d’une personne photographiée dans la réussite d’une photo. Il est bien évident que l’apport d’un mannequin professionnel n’est pas de même nature ni de même ampleur que celui d’un quidam dans la rue. De plus, le problème n’est pas le même s’il s’agit d’une photo publicitaire, d’une photo commerciale, d’une photo d’information ou encore d’une photo d’art. Enfin ce qui vaut pour les personnes vaut sans doute aussi pour les architectes et autres sculpteurs de l’espace public.

Sur le fond, cela ne me choque pas qu’une personne qui concourre consciemment, avec son savoir faire, à la qualité d’une image puisse en recevoir les dividendes. Pour le reste, cela me semble relever du fantasme voire d’un esprit mercantile un peu malsain.

Janvier 2009