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Photographier tous les jours


Faire une photo tous les jours. L’idée n’est pas de moi. Franck Horvat a réalisé un livre : « 1999 », bâti sur ce principe. Né en 1928, ce photographe indique, dans la préface, la crainte qu’il éprouvait, dès l’âge de huit ans, de ne pas voir l’an 2000. L’idée lui est venue de faire un livre rassemblant ses images, prises au jour le jour, les 365 jours précédent le changement de millénaire.


Mon grand-oncle, blessé gravement lors de la guerre de 1914/1918, a obtenu un poste de fonctionnaire en Indochine au début des années 1920. Sa mère était restée à Paris. Il lui envoyait régulièrement des photos avec des lettres racontant sa vie à Saigon. Il utilisait un appareil stéréoscopique qui donnait des images en noir et blanc sur plaques de verre. On regardait les vues avec un stéréoscope qui restituait le relief de façon saisissante. Chaque image portait un numéro gravé sur le verre qui renvoyait à une notule dans la lettre. D’autres photographes ont certainement eu cette idée de "raconter", au jour le jour, la vie quotidienne par la photographie.

La photographie humaniste (Cartier-Bresson, Doisneau, Ronis, etc.) a cherché dans l’image la quintessence d’un quotidien universel.  Mais peut-être  le temps de l’image "exemplaire" est-il révolu ? Aujourd’hui l’image explose. On photographie dans le monde plus qu’on écrit. Des millions de clichés sont réalisés par heure. Chaque photographe – amateur, artiste, professionnel – est témoin d’un temps singulier, d’une histoire particulière, chargé d’une émotion propre.

Que reste-t-il à la photographie ?
– Sa façon de dire le monde.
Photographie, du grec photos : lumière et graphein : écrire. La projection d’une lumière sur une réalité constitue la matière brute de la photo. Mais c’est la prise de vue « instantanée » qui confère une portée, ou non, à son propos, la légitimité de dire quelque chose. Chacun décrit ce que les circonstances lui donnent à montrer. Peut-être est-il temps de moins se soucier des circonstances que de la façon de voir et de faire une image. La question de la sémantique de la photo est posée plus que jamais.

En photographiant tous les jours, je ne fais que rapporter mon quotidien. Pas de quoi porter ces images à cimaise. Elles n'ont d'autres fonction que de témoigner de quelques émotions visuelles au fil de la vie. Elles écrivent l’éphémère des sensations. Peut-être donneront-elles, par leur ensemble, une certaine épaisseur aux sentiments les plus ordinaires. C’est dans l’enchaînement des images que naît la liberté du discours photographique.

Je photographie avec un Hasselblad Xpan équipé d'un objectif de 45 mm qui donne des images au format 1 : 2,70 sur du film 135. J'ai utilisé les premiers temps un appareil Noblex panoramique 135, à objectif rotatif de 29 mm. Cet appareil couvre un champ de 135°. J'ai recadré les images réalisées avec le Noblex pour les ramener au rapport  1 : 2,35, le rapport du cinémascope dû à l'hypergonar du professeur Chrétien.

J'utilise du film négatif couleurs Fuji pro Z de 800  ISO, après avoir abandonné le film Fuji supéria de 1600 ISO, pour  bénéficier du maximum de souplesse, notamment dans les basses lumières. Le grain induit montre de façon visible la matière de la photo. Je trouve judicieux de rappeler sans cesse qu’il ne faut pas confondre la réalité et son image. Et puis le grain a une vraie beauté, à mon sens. Enfin je scanne mes images moi-même. 

Juillet 2007